Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/51

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verre avec son mouchoir, se frotta les yeux pour s’éclaircir la vue ; l’aiguille aînée allait rejoindre sa petite sœur sur l’X de midi.

— Midi ! murmura-t-il entre ses dents ; il faut que quelque diablotin se soit amusé à pousser ces aiguilles ; c’est bien dix heures que j’ai vu !

Jacintha était bonne ; elle n’insista pas, et reprit avec lui le chemin de son atelier, car Onuphrius était peintre, et, en ce moment, faisait son portrait. Elle s’assit dans la pose convenue. Onuphrius alla chercher sa toile, qui était tournée au mur, et la mit sur son chevalet.

Au-dessus de la petite bouche de Jacintha, une main inconnue avait dessiné une paire de moustaches qui eussent fait honneur à un tambour-major, La colère de notre artiste, en voyant son esquisse ainsi barbouillée, n’est pas difficile à imaginer ; il aurait crevé la toile sans les exhortations de Jacintha. Il effaça donc comme il put ces insignes virils, non sans jurer plus d’une fois après le drôle qui avait fait cette belle équipée ; mais, quand il voulut se remettre à peindre, ses pinceaux, quoiqu’il les eût trempés dans l’huile, étaient si roides et si hérissés, qu’il ne put s’en servir. Il fut obligé d’en envoyer chercher d’autres : en attendant qu’ils fussent arrivés, il se mit à faire sur sa palette plusieurs tons qui lui manquaient.

Autre tribulation. Les vessies étaient dures comme si elles eussent renfermé des balles de plomb ; il avait beau les presser, il ne pouvait en