Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/69

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concert de pleurs et de soupirs à apitoyer un roc.

« J’éprouvais un secret plaisir d’être regretté ainsi. On me présenta une glace devant la bouche ; je fis des efforts prodigieux pour la ternir de mon souffle, afin de montrer que je n’étais pas mort : je ne pus en venir à bout. Après cette épreuve on me jeta le drap par-dessus la tête ; j’étais au désespoir, je voyais bien qu’on me croyait trépassé et que l’on allait m’enterrer tout vivant. Tout le monde sortit : il ne resta qu’un prêtre qui marmotta des prières et qui finit par s’endormir.

« Le croque-mort vint qui me prit mesure d’une bière et d’un linceul ; j’essayai encore de me remuer et de parler, ce fut inutile, un pouvoir invincible m’enchaînait : force me fut de me résigner. Je restai ainsi beaucoup de temps en proie aux plus douloureuses réflexions. Le croque-mort revint avec mes derniers vêtements, les derniers de tout homme, la bière et le linceul : il n’y avait plus qu’à m’en accoutrer.

« Il m’entortilla dans le drap, et se mit à me coudre sans précaution comme quelqu’un qui a hâte d’en finir : la pointe de son aiguille m’entrait dans la peau, et me faisait des milliers de piqûres ; ma situation était insupportable. Quand ce fut fait, un de ses camarades me prit par les pieds, lui par la tête, ils me déposèrent dans la boîte ; elle était un peu juste pour moi, de sorte qu’ils furent obligés de me donner de grands coups sur les genoux pour pouvoir enfoncer le couvercle.