Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/70

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« Ils en vinrent à bout à la fin, et l’on planta le premier clou. Cela faisait un bruit horrible. Le marteau rebondissait sur les planches, et j’en sentais le contre-coup. Tant que l’opération dura, je ne perdis pas tout à fait l’espérance ; mais au dernier clou je me sentis défaillir, mon cœur se serra, car je compris qu’il n’y avait plus rien de commun entre le monde et moi : ce dernier clou me rivait au néant pour toujours. Alors seulement je compris toute l’horreur de ma position.

« On m’emporta ; le roulement sourd des roues m’apprit que j’étais dans le corbillard ; car bien que je ne pusse manifester mon existence d’aucune manière, je n’étais privé d’aucun de mes sens. La voiture s’arrêta, on retira le cercueil. J’étais à l’église, j’entendais parfaitement le chant nasillard des prêtres, et je voyais briller à travers les fentes de la bière la lueur jaune des cierges. La messe finie, on partit pour le cimetière ; quand on me descendit dans la fosse, je ramassai toutes mes forces, et je crois que je parvins à pousser un cri ; mais le fracas de la terre qui roulait sur le cercueil le couvrit entièrement : je me trouvais dans une obscurité palpable et compacte, plus noire que celle de la nuit. Du reste, je ne souffrais pas, corporellement du moins ; quant à mes souffrances morales, il faudrait un volume pour les analyser. L’idée que j’allais mourir de faim ou être mangé aux vers sans pouvoir l’empêcher, se présenta la première ; ensuite je pensai aux événements de la veille, à Jacintha, à mon