Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/90

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— Vraiment, dit le jeune homme en refourrant sous les basques de son habit une demie-aune de queue velue qui venait de s’échapper et qui se déroulait en frétillant, me prendre pour le diable, l’invention est plaisante ! Décidément, ce pauvre Onuphrius est fou. Me ferez-vous l’honneur de danser cette contredanse avec moi, mademoiselle ? reprit-il, un instant après, en baisant la main d’une angélique créature de quinze ans, blonde et nacrée, un idéal de Lawrence.

— Oh ! mon Dieu, oui, dit la jeune fille avec son sourire ingénu, levant ses longues paupières soyeuses laissant nager vers lui ses beaux yeux couleur du ciel.

Au mot Dieu, un long jet sulfureux s’échappa du rubis, la pâleur du réprouvé doubla ; la jeune fille n’en vit rien et quand elle l’aurait vu ? elle l’aimait !

Quand Onuphrius fut dans la rue, il se mit à courir de toutes ses forces ; il avait la fièvre, il délirait, il parcourut au hasard une infinité de ruelles et de passages. Le ciel était orageux, les girouettes grinçaient, les volets battaient les murs, les marteaux des portes retentissaient, les vitrages s’éteignaient successivement ; le roulement des voitures se perdait dans le lointain, quelques piétons attardés longeaient les maisons, quelques filles de joie traînaient leurs robes de gaze dans la boue ; les réverbères, bercés par le vent, jetaient des lueurs rouges et échevelées sur les ruisseaux gonflés de