Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/196

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ne fût pas torero de profession, il n’en était pas moins redoutable

Ce taureau, sans s’effrayer des deux coups de rejoncillo qu’il avait déjà reçus, l’un de Romero, l’autre de Varela, fondit sur le premier tête baissée, passa les cornes sous le poitrail du cheval, lui fit quitter terre, et le renversa sur le dos par-dessus son cavalier.

Il y eut là un moment d’indicible épouvante et d’effroi suprême : tout le monde crut le brave Romero écrasé sous le poids de sa monture. — La belle tête pâle du Chiclanero devint livide, et, avec la promptitude de l’éclair, tout l’essaim des banderilleros, éparpillé dans la place, se concentra sur le même point. Vingt capes roses, jaunes, bleues, furent agitées pour distraire le taureau, et déjà les femmes portaient le mouchoir à leurs yeux, lorsqu’il arriva une chose merveilleuse, un coup de théâtre à désespérer les dramaturges.

Le cheval, qu’on croyait éventré, se releva avec son cavalier en selle ; Romero, bien loin d’être écrasé, n’avait pas même perdu les étriers.

Alors, il s’éleva des tendidos, des galeries, des balcons, des entablements, des toits, un hourra d’acclamations, immense, universel, prodigieux ; une seule