Page:Gautier - Loin de Paris.djvu/321

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le Rhin des burgs et des burgraves, la partie véritablement pittoresque du voyage ; les collines s’escarpent en montagnes, et les rochers presque à pic resserrent le cours du fleuve, qui s’étrangle et devient plus rapide. Au milieu des eaux bouillonnantes, se dresse sur un écueil, le Mausethurm, ou Tour de la Souris, presque en face les ruines d’Ehrenfels, fièrement perchées au sommet de la montagne. Cette entrée est du caractère le plus grandiose. Les hautes pentes de schiste et d’ardoise jettent leurs ombres sur le fleuve profondément encaissé ; on se sent dans un endroit dangereux, dans un lieu sinistre propre aux naufrages et aux tragédies. C’était, en effet, un coupe-gorge de vingt heures de long que toute cette partie du Rhin.

Le ciel s’était couvert ; des amoncellements de nuées opaques rampaient sur ces noires murailles sillonnées, ravinées, s’avançant jusque dans l’eau. Un bateau sombré dont les mâts seuls paraissaient encore, formant des remous d’écume dans le fil du courant, disait que, si les burgraves n’étaient plus à redouter, le fleuve l’était encore ; — du reste, on ne saurait s’imaginer combien sont nombreux ces nids de faucons féodaux ; pas une pointe de roc, pas un escarpement qui ne porte le sien protégeant ou plutôt menaçant un passage, un