Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/106

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peu à peu. Cette nuit d’angoisse avait laissé bien des meurtrissures à son âme ; l’une après l’autre elle les touchait de sa pensée pour aviver leurs lancinations douloureuses. « Oui, mais il m’aime ! » répondait-elle toujours aux cruelles suggestions de son esprit.

Elle se leva et fit sa toilette machinalement. De temps à autre, elle venait appuyer son front contre la vitre et regardait au dehors, sans voir. D’ailleurs, un brouillard blanc traînait sur la mer et cachait tout l’horizon. Ce brouillard semblait flotter aussi dans le cerveau de Lucienne et retirer tout contour à ses idées. Ses yeux lui faisaient mal, un cercle bleuâtre les estompait. C’était la première fois qu’ils s’étaient gonflés de larmes ; elle avait pour la première fois crié sous une peine morale. Elle en était tout abasourdie.

Elle sentait pourtant qu’il lui fallait prendre une résolution, et elle avait peur de ce qu’elle allait décider comme de la pointe d’une lame dirigée par elle-même contre son cœur.

— Que vais-je faire ? se disait-elle tout en repoussant la réponse qui montait jusqu’à ses lèvres.

Partir ! cette pensée s’imposa bientôt. Elle lui causa une sensation de douleur physique, un choc à l’estomac et du froid dans les veines.

Voulant se mettre en garde contre elle-même et se fermer la retraite, elle sortit pour aller annoncer à M. Provot sa résolution. Elle trouva le vieillard dans sa chambre, les mains derrière le dos, se ba-