Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et il redescendit.

— Êtes-vous heureux de vous aimer comme cela ! dit Jenny, en rejoignant Lucienne qui s’était retirée de la fenêtre. Un sourire, un regard, c’est là le langage des amoureux. Vous ne vous êtes pas dit un mot. Ah ! je vous envie.

Jenny soupira, et son regard glissa vers la table sur laquelle s’étalait le buvard en cuir de Russie.

— Dis donc, Lucette, reprit-elle, c’est aujourd’hui vendredi ; si nous voulons que la lettre arrive à temps, il faut la mettre à la poste ce soir.

— Quelle lettre ? dit Lucienne, s’arrachant avec peine à sa rêverie.

— La lettre à mon soupirant.

— Tu songes encore à cette histoire ?

— Quelle vilaine égoïste tu es ! Absorbée dans ton amour, voilà que tu oublies déjà tes amis.

— Je t’assure, mignonne, que cet enfantillage m’inquiète un peu.

— Bah ! nous ne risquons rien. Nous ne faisons pas de mal. Et puis, vois-tu, mon esprit travaille depuis que j’ai reçu cette lettre ; il vaut bien mieux en finir. Si ce jeune homme est laid ou ridicule, mon rêve tombera en poussière et le vent l’emportera.

Ce raisonnement sembla convaincre Lucienne, qui se sentait peu capable de discuter plus longtemps. Elle prit le lettre, la mit dans une enveloppe, et écrivit l’adresse.

Jenny s’empara du billet, qui disparut dans sa poche.