Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/117

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près du bénitier, appuyé contre une colonne, on avait vu le « jeune inconnu » et l’on avait découvert qu’il n’était autre que Max Dumont, la fleur des crevés de F… Jenny, tout le long de la messe, avait ri de cette déconvenue, la figure dans son paroissien. Depuis, il lui avait envoyé des vers. Elle ne lui répondait plus, mais elle aimait à discourir sur son amoureux et à s’emporter contre lui.

— A-t-on l’idée d’une pareille audace ? disait-elle ; un gamin qui n’est pas encore sorti du collège !

Lucienne n’entendait pas ; elle songeait au bonheur, impossible pour elle, et faisait de tristes retours vers sa vie passée.

— Qu’aurais-je dû faire ? se disait-elle. Et elle ne trouvait pas de réponse.

Seule à seize ans, sans ressources, habituée au luxe, incapable de gagner sa vie, qu’aurait-elle pu faire, en effet ?

Elle regardait Jenny et l’enviait : « Comme c’est facile d’être honnête lorsqu’on ne manque de rien, se disait-elle ; lorsqu’on peut passer des bras de sa mère dans ceux d’un mari, qui continuera à veiller sur vous et à vous protéger ; lorsque la vie s’écoule tout naturellement dans ce chemin tracé et bordé de fleurs. Mais quand, née du hasard, comme moi, élevée tout de travers, gâtée par insouciance plutôt que par tendresse, discernant imparfaitement le bien du mal, on est tout à coup privée du soutien, — que devenir ? De tous côtés on tous tend la main, pour vous aider à tomber. Comment penser même