Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/148

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elle vivait ; elle ne lui avait plus permis de franchir le seuil de sa chambre ; il lui semblait qu’elle mourrait d’horreur s’il s’approchait d’elle. Les souvenirs des jours passés l’emplissaient d’une haine folle pour cet homme inoffensif. Mais il fallait dissimuler, trouver des prétextes pour l’éloigner d’elle, sans l’irriter par trop, afin d’éviter un scandale. Il devait rester son oncle jusqu’au moment du départ. Il eût été facile à Lucienne de maintenir cette situation si, dans l’intimité, une fois le masque tombé, l’amant avait repris ses droits. Mais il n’en était pas ainsi, et M. Provot, plus oncle qu’il ne le désirait, avait peine à contenir sa fureur. Une rupture était imminente et Lucienne la voulait, mais pas avant le départ.

La situation était tellement tendue et si pénible pour la jeune femme, que parfois elle désirait rapprocher l’instant de la séparation pour abréger ses tortures. Pourtant les jours étaient comptés pour les deux amants. Adrien devenait de plus en plus triste et regardait fuir le temps avec le morne abattement d’un condamné à mort.

Quelquefois il essayait de la faire revenir sur sa décision, il feignait de n’y pas croire.

— C’était une épreuve, n’est-ce pas ? disait-il, vous vouliez savoir si je m’y soumettrais, et, le jour de la séparation, vous tomberez dans mes bras en disant : je reste.

D’autres fois il se laissait aller au désespoir, à la colère ; il lui reprochait de ne pas l’aimer, puis-