Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/168

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nouvelle vie solitaire et laborieuse dans laquelle elle voulait anéantir sa vie passée ! Il fallait rompre tous les fils qui la rattachaient à son ancienne existence, et les rompre si bien qu’il ne fût plus possible de les renouer jamais. Pour cela, elle devait disparaître. Mais disparaître, comment ?

Quand elle reviendrait, fût-ce dans trois, dans quatre années, tous ceux qui l’avaient connue la reconnaîtraient et l’appelleraient, ou plutôt la dénonceraient par son nom.

Pour la « libérer », l’absence, ce n’était donc pas assez ?

Alors lui revenaient à l’esprit les pensées qui s’étaient déjà présentées à elle, quand, par deux fois, elle avait envisagé la grande disparition, la mort.

Telles étaient les idées qui l’agitaient dans le trajet du chemin de fer à son appartement de la rue de Châteaudun. En se retrouvant chez elle, Lucienne eut un frisson douloureux. Elle courba la tête et la rougeur lui brûla les joues, lorsqu’elle froissa de nouveau les tentures, les tapis épais, lorsqu’elle revit les meubles somptueux, les glaces, les objets d’art et les mille babioles ruineuses qui encombraient ses consoles.

— Ah ! tout cela sera dispersé bientôt ! murmura-t-elle avec une colère sourde.

Jeanne, sa femme de chambre, marchait devant elle, portant la lourde lampe en porcelaine chinoise ; la dentelle bleue qui couvrait le globe voltigeait