Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/181

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unique, et la table boiteuse sur laquelle était posée une cuvette avec un pot à l’eau égueulé.

— Vous avez de la terre par ici ? demanda tout à coup la veuve Bourguignon, qui essayait de se renseigner un peu sur la nouvelle venue.

— Non, dit Lucienne, je ne possède aucune terre.

— Alors, c’est vous qui venez pour la vigne au père Grialvat, qu’on va vendre par autorité ?

— Je n’ai pas l’intention d’acheter des vignes, je viens simplement pour voir ce pays, dit Lucienne.

— Tiens ! s’écria l’aubergiste, il n’y a pourtant pas grand’chose de curieux par ici ; du premier coup d’œil, on a tout vu ; ce n’est que vignes à dix lieues à la ronde. À moins de visiter la fabrique de bouteilles au bout du village… Ceux qui n’ont pas peur d’avoir chaud vont voir ça. Aussi peut-être que vous êtes Anglaise ?

— Justement, dit Lucienne en souriant.

— Je l’aurais parié ! les Anglais aiment à voyager.

Et tout en aidant Sidonie, qui était rentrée et mettait des draps au lit, elle lui dit tout bas :

— C’est une miche.

Sans doute, elle avait l’intention de dire miss.

Lucienne s’était approchée de la fenêtre ouverte et regardait devant elle. Le soleil venait de s’enfoncer derrière la Côte-d’Or dont le faîte semblait bordé d’un liseré de feu. Trois rayons blancs s’élançaient à travers le ciel et illuminaient les nuages couleur d’ardoise et de pourpre qui tachaient l’azur