Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/188

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Lucienne, qui s’était levée, se rassit.

— Et ta vigne ?

— Elle n’est pas core vendue, répondit le paysan.

— Et ta fille ? cria un autre.

— Elle n’est pas core morte, mais, ma fine, c’est tout comme ; elle bat la campagne et ne connaît pus personne.

— Toi, tu viens boire à sa santé, dit quelqu’un.

— Hé ! misère ! répondit Grialvat, ceux qui meurent n’empêchent pas ceux qui se portent ben d’avoir soif.

— Vous n’avez pas d’honte, s’écria madame Bourguignon en survenant, de venir gobeloter au cabaret tandis que votre pauvre enfant est à l’agonie, et de la laisser mourir toute seule comme un chien au coin d’un champ.

— Allons, ne vous fâchez pas, la mère ! dit Grialvat ; elle a de la société ; les voisines sont venues pourla soigner. Quèque vous voulez que je lui fasse, moi : je ne suis pas médecin. Et puis ça me tourne le sang de l’entendre geindre et de ne pas pouvoir lui dire de se taire. Mais c’est pas tout ça, donnez-moi à boire, j’crève la soif.

— Vous devriez boire vos larmes pour l’instant, vilain sans cœur ! reprit madame Bourguignon ; vous ne valez vraiment pas la corde pour vous pendre. Et quand je pense qu’il y a là une bonne demoiselle qui, en apprenant qu’on va vous vendre, s’intéressait à vous et avait comme idée de tirer votre vigne des griffes des huissiers ! mais je lui ai