Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/192

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tenta l’ascension du lit, ce qui fut assez laborieux. La couche, dure, bossuée et sans aucune élasticité, lui parut être une torture plutôt qu’un repos ; la rudesse des draps lui fit courir un frisson par tout le corps et l’odeur âcre de la chandelle éteinte la prit à la gorge. Mais elle endura tout cela avec résignation et ferma les yeux pour dormir.

Elle n’était pas au bout de ses peines cependant. Le bruit que faisaient en bas les paysans échauffés par le vin et les parties de cartes qui s’étaient engagées, la réveilla comme elle venait de s’assoupir et lui causa un effroi indicible. Elle se souleva et regarda l’obscurité, prêtant l’oreille, tandis que son cœur battait violemment. L’idée qu’on pouvait monter dans sa chambre, enfoncer la porte, l’assassiner pour la voler, se présenta à son esprit avec l’intensité que les terreurs nocturnes donnent à toutes choses.

Elle ralluma la chandelle, et, courant nu-pieds sur le carreau, alla mettre la table, chargée du pot à l’eau et de la cuvette, devant la porte, qu’elle ferma à double tour. C’était un bien faible rempart ; mais, si elle se rendormait, tout cela ferait du bruit en tombant et l’éveillerait ; elle aurait le temps d’ouvrir la fenêtre, d’appeler au secours.

Elle se recoucha, écoutant toujours si on ne montait pas l’escalier, bientôt le bruit cessa en bas ; mais Lucienne n’en fut que plus effrayée : quelqu’un pouvait s’être caché et attendre justement que tout le monde fût parti pour monter faire son mauvais