Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/194

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min, avec son toit moussu et sa haute cheminée, laissant fuir des flocons de fumée bleue.

Lucienne s’arrêta court et poussa un cri en voyant cette chaumière ; la lumière se faisait dans son esprit.

— Oui, oui ! c’est bien cela, se dit-elle. Je me reconnais parfaitement. Là, cette cabane en planches abritait une chèvre brune et son chevreau. Sous ce hangar couchaient les poules et un gros chien noir. Voici là-bas la cuve de briques où on faisait la lessive. Et l’intérieur de la maison, je n’ai pas besoin de le voir, je le connais bien ; je me souviens des bottes d’oignons pendues aux solives du plafond, de la grande cheminée avec son baldaquin de serge rouge, de la terre battue qui forme le plancher. Je vois le lit là, à gauche de la porte, et, près du lit, un petit berceau, le mien.

Elle s’élança vers la chaumière. La porte était entr’ouverte, elle entra avec impétuosité.

— Je ne me trompais pas, rien n’est changé, s’écria-t-elle ; cette porte s’ouvre sur une cour où il y a un puits, et même l’un des seaux a une de ses planches fortement écornée en haut.

— V’là ben longtemps qu’on l’a changé ce sciau-là, mais il était ben comme vous dites, répondit une femme qui soufflait le maigre feu de la cheminée. Vous êtes donc déjà venue dans cette maison ?

— J’ai été en nourrice ici même, dit Lucienne, qui, en proie à une violente émotion, se laissa tomber sur un escabeau. Est-ce vous qui m’avez donné votre lait ?