Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foulé ces pavés, son ombre s’était allongée sur ces murailles ; et Lucienne, lorsqu’elle s’aventurait du côté de la plage, s’imaginait le voir plongeant sous les hautes lames, ou bien, si le soleil déchirait le brouillard, elle croyait l’apercevoir au faîte de la falaise.

Les visages de ceux qu’elle avait connus, du temps qu’il était là, lui faisaient éprouver une émotion lorsqu’elle les revoyait. Les êtres les plus insignifiants prenaient pour elle un intérêt particulier. Le maître baigneur, le cocher de l’hôtel des Bains passaient souvent devant sa boutique. La boulangère, madame Heurtebise, dont elle ignorait toujours l’histoire, était sa voisine.

Elle revit Max, et le mélancolique vélocipédiste dont elle avait quelquefois suivi des yeux la course rapide sur la promenade. Mais elle ne tarda pas à découvrir que les deux jeunes gens tournaient autour d’elle avec des intentions faciles à deviner, Félix Baker surtout. Il faisait des heures entières de planton au coin des halles, ou devant la mairie, l’œil braqué sur la boutique de Lucienne. En allant à son bureau le matin et en en revenant le soir, il ne manquait jamais de passer par la place du Marché et de s’y arrêter longtemps.

Lucienne fit mettre des petits rideaux de soie verte derrière les vitres pour être à l’abri de ces regards indiscrets ; mais les jours étaient si sombres qu’elle ne pouvait pas toujours tenir ses rideaux fermés.