Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/305

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profondément heureux. Il fut éblouissant de verve et d’entrain, mais cela sans fièvre et sans effort, et il sut apprécier les trésors de la cave paternelle.

Après le dîner, Lucienne joua des valses, puis chanta des mélodies de Schubert : elle n’en voulait plus chanter d’autres depuis qu’Adrien lui avait dit qu’il les aimait.

Stéphane lui demanda si elle désirait entendre des chants de sauvages et des romances africaines.

— Comment ! vous êtes musicien ? s’écria Lucienne.

— Très-peu, dit Stéphane, mais je retiens facilement ce que j’entends.

Il s’assit au piano, et s’accompagnant à peu près, il dit d’une voix un peu sourde, mais très-juste, des airs bizarres, monotones, dans des idiomes exotiques, qui apportaient jusque dans cette chambre comme un écho de patries lointaines, un parfum de savanes et de forêts vierges.

Lucienne était sous le charme. Elle ne pouvait se lasser d’écouter ces mélodies si passionnément tristes ; le jeune homme dut chanter jusqu’à ce que la voix lui manquât.

— Comme vous paraissiez heureux ce soir ! lui dit-elle, lorsqu’il la reconduisit chez elle. Votre joie n’était pas feinte cette fois, n’est-ce pas ?

— Cette soirée demeurera un de mes plus précieux souvenirs, dit Stéphane, je sais vivre d’illusions, voyez-vous ; je me suis imaginé, pendant ces quelques heures, en vous voyant ainsi entre mon père et moi, que vous étiez ma femme et que je ne vous quitterais plus.