Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/308

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lui semblait s’élancer plus librement vers son but constant à travers cet espace ; elle se sentait presque immatérielle sur cet élément, plus subtil que la terre, qui les portait et les berçait. La course facile et prompte de la barque, dont la grande voile était étendue entre le ciel et l’eau pareille au ciel, lui donnait l’illusion d’un vol de séraphin dans l’éther.

Depuis longtemps déjà, elle éprouvait pour la mer une superstitieuse tendresse ; il lui semblait que la mer était pour beaucoup dans sa nouvelle existence. Elle s’y mêlait intimement en effet. C’était uni aux flots qu’elle avait vu pour la première fois Adrien. Son rêve ne les séparait plus. Il lui semblait que le jeune homme prenait à la mer quelque chose de sa majesté et de sa splendeur, et que les lames lui empruntaient un peu de sa grâce et des transparences glauques de ses yeux. Elle avait aimé, souffert, espéré en regardant le va-et-vient des vagues, et ces deux hommes qui lui avaient révélé les douces affections de la famille, n’étaient-ils pas des amants de la mer ?

On revenait au port avec la marée, quelquefois assez tard, et Lucienne, rentrée chez elle, dormait d’un bon sommeil jusqu’au matin.

Le temps se passait. La vie se faisait plus douce autour de la jeune fille ; le calme entrait dans son âme de plus en plus, le passé s’effaçait. Ses rêves étaient purs à présent, et elle prenait plaisir au travail ; elle avait enfin conquis la vertu.

L’affection paternelle que M. Lemercîer lui avait