Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/315

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mençait à s’intéresser un peu à toutes ces petites choses.

Un jour, elle demanda à M. Lemercier pourquoi l’apparition de madame Heurtebise amenait presque toujours un sourire sur les lèvres de ceux qui la voyaient.

— C’est au souvenir d’une aventure bien niaise, dont la ville s’est divertie pendant deux mois, dit le vieillard. En se mariant, la jeune boulangère, qui est fort riche, déploya un luxe peu en rapport avec son rang. On trouva cela de mauvais goût, et je ne sais quel garnement attacha derrière la voiture de noces un grand panier de boulanger. C’est à cause de cette farce que l’on rit en voyant la boulangère.

— Ce n’est que cela ! dit Lucienne.

L’hiver fut rude cette année-là ; il neigea presque continuellement et l’on pouvait à peine sortir. Il semblait à Lucienne que le temps ne marchait plus et que jamais les jours d’épreuve ne finiraient. Les semaines se ressemblaient toutes tellement, qu’il était impossible de se souvenir de l’une ou de l’autre, et elles étaient longues comme des mois.

Le printemps finit cependant par revenir et il arriva alors à Lucienne une aventure qui jeta le trouble dans sa vie.

Un jour, elle était assise dans sa boutique, travaillant, tandis que M. Lemercier s’occupait à coller des algues marines dans un album. Un homme passa devant la vitrine ; il regarda distraitement Lucienne, puis revint sur ses pas et la regarda encore.

Tout à coup il entra dans la boutique.

— Eh ! mais je ne me trompe pas, c’est bien toi.