Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/334

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un autre verre. Mais le garçon s’éloigna sans le lui servir. Alors elle prit un journal.

— Voyons un peu ce qui se passe à Paris, dit-elle, presque à haute voix.

Une vive douleur lui traversa le front quand elle voulut fixer ses regards sur les lignes du journal, mais elle n’y prit point garde et lut les annonces des théâtres.

— Ah ! murmura-t-elle, une première aux Bouffes ce soir. J’ai encore le temps d’arriver à Paris pour y assister. Quelle rentrée ! que de surprises, que d’ébahissements je vais causer ! — Comment ! c’est Lucienne ? — Pas possible ! — Elle n’est donc plus morte ? — Oui, mes enfants, c’est moi. Je reviens de l’autre monde. — Allons, en route ! ajouta-t-elle en se levant.

Elle se remit à marcher par la ville à grands pas. Les passants se retournaient pour la regarder.

Devant la glace d’une devanture, elle s’arrêta.

— Tiens, dit-elle, j’ai des couleurs pour la première fois de ma vie. C’est la honte d’avoir été si bête qui me met cette rougeur aux joues. Eh bien, ma pauvre Lucienne ! continua-t-elle, en parlant à son image, que penses-tu de cela ? Tu ne t’attendais guère à ce dénouement pendant ces longs mois de tristesse et de solitude. Hein, quel résultat ! Te voilà plus seule qu’autrefois, et plus vieille de trois ans ; mais tu sais joliment bien faire les chapeaux ! Grande niaise ! grande folle ! Tout cela, pour des yeux bleus qui ne te reconnaissent même plus après t’avoir