Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/342

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reçu en l’apprenant, moi si confiant, et qui vous respectais autant que je vous aimais ! Je parle maintenant sans colère, tout est mort en moi, la colère comme la joie ; mais j’ai eu, je vous l’avoue, des instants de rage et de désespoir où je touchais à la folie.

» Voici comment j’ai appris l’horrible vérité. Ce fut deux ans après m’être séparé de vous. J’avais, suivant votre conseil, travaillé ardemment. J’étais avocat, presque célèbre, à Rouen ; on me confiait bien des causes. J’étais triste cependant ; mais l’espoir me soutenait et le bonheur était au bout de ma route. Un jour, une affaire m’appela à Paris. C’était en automne. J’allais repartir, mon affaire terminée, lorsque je rencontrai sur le boulevard celui que je croyais votre oncle. Je courus à lui joyeusement, lui demandant des nouvelles de sa nièce ! — Ma nièce ! dit-il… Alors il m’avoua la vérité, en s’excusant de nous avoir trompés. Brutalement, avec un sourire paisible, il me déchira le cœur, sans se douter de ce qu’il faisait. Je ne voulais pas le croire ; je pensais qu’il était fou. Mais, voyant que je doutais de ses paroles, il m’entraîna vers la devanture d’un marchand de photographies du passage Jouffroy. — Tenez, me dit-il, son portrait est encore là, et elle est représentée dans une pose et dans un costume qui ne vous laisseront aucun doute. — Il disait vrai, hélas ! Il m’apprit encore que vous vous étiez fait passer pour morte, mais qu’il vous avait retrouvée à F…, modiste, protégée par un vieillard terrible qui chassait