Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/343

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vos anciens amis à coups de poing. — Je comprends maintenant, ajouta-t-il, elle se faisait oublier, elle s’habitue à une vie tranquille et honnête pour arriver à vous épouser. Ma foi ! je suis bien aise d’avoir pu vous armer contre cette sirène.

» Je revins à Rouen, fou de douleur. Je m’enfermai, me disant malade, ne voulant parler à personne, tout à mon désespoir. Je me souvins alors de vos hésitations, de vos scrupules, de vos larmes, et je compris leur véritable sens. Je compris aussi que vous vouliez expier vos fautes, et que vous aviez inventé ce conte d’une séparation de trois ans exigée par votre mère. J’admirai votre habileté à mentir. Cependant, je crus que vous m’aimiez véritablement et que vous étiez sincère dans votre repentir. Je me sentis un instant de faiblesse ; j’eus l’idée de feindre de tout ignorer, de vous laisser aller jusqu’au bout de l’épreuve que vous vous étiez imposée par amour pour moi, et de vous épouser. Mais la colère, la jalousie étouffèrent bientôt ces sentiments, et je compris que ceux qui se dressaient désormais entre nous étaient un obstacle éternel à notre bonheur. J’essayai de vous rejeter hors mon cœur, mais je m’aperçus que le coup que j’avais reçu, mortel pour l’estime que je vous portais, avait laissé l’amour vivant, et que vous restiez dans mon cœur malgré moi. Une nouvelle lâcheté me tenta. Je songeai à courir à vous, à vous emporter dans un pays de soleil, à vous donner quelques années de ma vie. Fou que j’étais ! c’est toute ma vie que je vous aurais donné ; je le