Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/344

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sentais bien. Me défiant de moi-même, me voyant sans force contre cet amour tenace qui triomphait de la douleur et du mépris et me jetait vingt fois par jour dans des projets insensés, je me confiai à ma mère. Elle trouva le remède au mal ; remède terrible, mais radical. — Tu finiras, dit-elle, par céder à ton amour et par introduire dans ta famille une femme déchue, si tu ne mets entre lui et toi un obstacle infranchissable. Marie-toi. Ta passion s’apaisera, tu aimeras ta femme plus tard, je te connais, tu es l’esclave de tes devoirs. J’obéis à ma mère, après bien des luttes. On dit à Jenny que vous étiez morte ; la pauvre enfant pleura beaucoup ; et j’épousai la première venue. Pour moi, elle n’est qu’un bouclier entre vous et moi, Lucienne ; mais elle porte mon nom, elle a mon serment, sa vie sera calme et heureuse.

» Après vous avoir vue l’autre jour, à cette date queje n’avais pu oublier, j’ai voulu vous expliquer les raisons qui m’ont dicté ma conduite, je n’ai pas osé vous parler, je me sentais trop faible, trop ému auprès de vous. C’est pourquoi je vous écris.

» Maintenant, tout rapport cesse entre nous, tout est bien fini. Ma mère croit que je vous ai oubliée, je le lui laisse croire. À vous seule, j’avoue la vérité : je vous hais de m’avoir trompé ; mais je ne pourrai jamais aimer que vous. »