Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/347

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Un matin, elle se sentit plus faible que jamais. Tout semblait brisé en elle ; mais elle ne souffrait plus.

Elle comprit que c’était fini.

— J’irai aujourd’hui, se dit-elle, suivant son idée fixe.

Tous les soirs, à sept heures, M. Lemercier la quittait pour aller dîner ; il revenait à huit heures et demie. Un train partait justement pour Rouen à huit heures ; Lucienne résolut de choisir cette heure-là pour s’enfuir.

Elle ne dit rien de la journée, se tint immobile, ménageant ses forces. Lorsque M. Lemercier la quitta le soir, elle eut envie de lui dire un dernier adieu, de l’embrasser. Mais elle eut peur que cela ne lui donnât l’éveil ; elle lui envoya seulement un baiser du bout des doigts lorsqu’il eut le dos tourné.

La garde-malade, lasse de tant de veilles, sommeillait dans un fauteuil ; mais ce sommeil n’était pas assez profond pour que Lucienne pût en profiter ; il fallait l’éloigner tout à fait.

La jeune fille avait depuis longtemps combiné le moyen de se débarrasser d’elle. Elle avança la main vers la potion qu’on lui préparait chaque soir pour la calmer et la faire dormir ; elle poussa le flacon, qui tomba à terre et se brisa.

La garde se dressa en sursaut.

— Je voulais boire ma potion pour dormir tout de suite, dit Lucienne, j’ai fait tomber la bouteille.

— Il faut la faire refaire.

— Oui, allez chez le pharmacien.