Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/61

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grand’mère. Cette fois, ce n’est pas le cas : Lucienne est très-élégante, trop élégante.

— En effet.

— Elle porte des dentelles ! et très-belles, ma foi ! elle avait hier un fichu en point d’Angleterre ! … des plumes, des frous-frous à n’en plus finir ! Une jeune fille doit être simple et avoir avant tout l’air d’une jeune fille.

— Une jeune fille… parfaitement… dit M. Provot de plus en plus troublé.

— Vous ne m’en voulez pas, reprit madame Després. Si je n’avais pas une estime sincère et une profonde sympathie pour Lucienne, je ne parlerais pas ainsi.

— Ah ! madame, vous êtes mille fois bonne, et je vous remercie de faire mon éducation d’oncle.

— Parions que votre nièce a lu des romans, continua madame Després.

— Elle en a lu, je le confesse.

— Là ! j’en étais sûre ! s’écria madame Després, est-ce qu’une jeune fille doit lire des romans et se bourrer la tête d’un tas de folies ? Qu’est-ce que deviendraient les mères de famille si leurs filles lisaient des romans ? Il n’y aurait plus moyen de vivre en repos. Je comprends maintenant pourquoi votre nièce est si souvent rêveuse, absorbée ; pourquoi j’ai quelquefois surpris sur son visage des expressions douloureuses qui m’effrayaient presque. Elle songeait à quelque héros ridicule qui s’est fait sauter la tête par amour pour quelque donzelle. Est-ce