Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/76

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s’éloignait d’elle, le doute rentrait dans son esprit ; rien ne venait confirmer les suppositions qu’elle avait faites. Adrien avait repris sa réserve ordinaire ; peut-être s’était-elle méprise à ce mouvement de sympathie. Il lui avait serré la main, cependant ; mais ce pouvait être par simple galanterie, et comme contraint par la phrase trop transparente qu’elle lui avait dite.

Elle retomba dans ses angoisses. Au milieu de ses colères contre lui, l’idée qu’il avait au cœur un autre amour lui revenait, et consolait son amour-propre tout en la faisant souffrir ; mais elle voulait triompher. Elle passait des heures à sa toilette, reprenant des robes trop fastueuses, qui faisaient l’admiration de Jenny.

Une grande amitié liait à présent les deux jeunes filles ; elles se tutoyaient. Lucienne ne quittait plus la sœur, pour être plus souvent auprès du frère. Le lieu où elles se réunissaient de préférence était le grand salon du Casino. Désert pendant la journée, les volets fermés y entretenaient une fraîcheur et un demi-jour très-agréables. Madame Després n’y venait jamais, parce qu’elle n’y voyait pas clair pour sa tapisserie, et M. Provot restait avec elle sous la tente de la terrasse.

— Nous sommes là entre enfants, disait Jenny.

Le piano résonnait dans la salle vide ; elles pataugeaient à travers la sonate de Mozart, qu’elles écorchaient impitoyablement. Quelquefois elles recommençaient et essayaient de compter. Souvent Lu-