Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cienne chantait. Sa voix fraîche, trop faible au théâtre, était charmante dans un salon ; c’était un moyen de séduction, elle l’essayait sur Adrien. Seulement, elle ne savait que des chansons de café-concert et des fragments d’opérettes en vogue. Elle sentait bien que ce n’était pas cela qu’il aurait fallu, mais elle n’était pas assez musicienne pour apprendre quelque chose toute seule ; elle chantait donc la Timbale d’argent, la Femme à barbe, et autres chefs-d’œuvre.

Un jour, Adrien, qui lisait à demi couché sur un divan du grand salon, se leva brusquement.

— Pourquoi chantez-vous cela, mademoiselle ? dit-il le sourcil froncé. Un pareil refrain sur vos lèvres fait songer à ce conte de fée dans lequel des souris rouges et des crapauds sortent de la bouche d’une princesse.

— Est-il malhonnête ! s’écria Jenny, qui écoutait la chanson de toutes ses oreilles.

— Je ne chanterai plus, dit Lucienne en baissant la tête et en laissant retomber ses mains.

— Que tu es bête, dit Jenny ; est-ce que tu vas te laisser faire la loi par monsieur mon frère ?

— Pardonnez-moi ce mouvement brutal, mademoiselle, dit Adrien ému en voyant des larmes dans les yeux de Lucienne. Votre voix a un charme extrême, mais je voudrais que ce qu’elle dit ne gâte point ce qu’elle chante.

Indiquez-moi ce que je dois chanter, répondit Lucienne.