Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/92

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la jeunesse, j’écartais de mes yeux l’éblouissement que me causait votre beauté, et j’étudiais froidement votre caractère et votre cœur. J’ai vu bientôt que l’indulgence et la faiblesse de votre oncle étaient seules responsables de quelques bizarreries de manières que vous aviez contractées et qui choquaient ma rigidité bourgeoise. Ces ombres légères disparaîtront au souffle de l’amour. J’ai compris votre cœur passionné et bon ; je crois vous connaître aujourd’hui, Lucienne, et je cède avec bonheur à mon amour.

Lucienne semblait foudroyée ; ses oreilles lui tintaient, ses dents claquaient. Des flots de paroles se pressaient sur ses lèvres ; mais elle demeurait muette.

Adrien la fit asseoir sur l’herbe et s’assit à côté d’elle.

— Écoutez, chère bien-aimée, dit-il, je n’ai que vingt-quatre ans, mais je suis plus sérieux qu’on ne l’est d’ordinaire à mon âge, et je puis déjà, sans regret, fixer ma vie à jamais. Ma nature, un peu farouche, m’a tenu assez éloigné des femmes. Je n’en ai jamais aimé aucune ; vous êtes la première aimée, vous serez la seule. Voulez-vous être ma femme, Lucienne ? Je vous jure de vous rendre heureuse tant que je vivrai.

— Ah ! je vous en conjure, ne me parlez pas ainsi ! s’écria Lucienne en cachant son visage dans ses mains.

— Je ne vous demande pas de me répondre tout de suite, sans avoir réfléchi ; mais dites-moi au