Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/94

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voix tremblante ; la nuit est obscure, il n’est pas prudent de marcher seule.

Ils descendirent la falaise silencieusement. Arrivés à la cour de l’hôtel, ils se séparèrent.

— Donnez-moi votre main, ma fiancée, dit Adrien.

Elle lui laissa prendre sa main glacée ; il la baisa longuement, puis s’éloigna.

Lucienne s’élança dans sa chambre et s’enferma à double tour. Elle se jeta à genoux devant son lit et cacha sa figure dans les plis des draps.

— Ah ! je suis folle ! s’écria-t-elle, folle de bonheur ! folle d’épouvante !

Elle resta longtemps ainsi, comme ensevelie. Puis elle se mit à baiser sa propre main, celle où il avait appuyé ses lèvres.

— Ah ! il est à moi ! Il m’aime ! Est-ce bien possible ? se disait-elle en secouant ses larmes.

Elle alla s’asseoir devant son miroir.

— C’est bien moi. Je ne rêve pas. C’est moi qu’il aime. C’est pour moi qu’il est si beau. Ses yeux pâles, si fiers et si doux, son front, ses lèvres sévères, c’est à moi. Mon regard ne pourra pas s’arracher de lui maintenant. Il m’aime moi ! J’en deviens folle.

Elle courut à sa toilette et mouilla d’eau son front brillant ; mais, après avoir fait quelques tours dans la chambre, elle revint à son miroir, et reprit son ardente rêverie.

— Comme sa voix vibrait solennelle et tendre ! Il me semble qu’elle tremble encore à mon oreille. Il