Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/99

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Elle ouvrit son buvard. La lettre qu’elle avait écrite pour Jenny au « jeune inconnu » lui apparut. Un sourire triste crispa ses lèvres.

— Bientôt, se dit-elle, cette amie si confiante et si tendre n’aura plus pour moi que du dédain et de l’horreur.

Elle prit une feuille blanche et commença à écrire, d’une main tremblante :

« Je suis une misérable, indigne de vous ; je vous ai lâchement trompé. Mais je vous ai aimé, et je meurs… »

Elle n’alla pas plus loin, et, jetant sa tête sur ses bras, elle pleura à chaudes larmes.

Minuit venait de sonner. Le silence régnait dans tout l’hôtel. Au dehors, on entendait le bruit sourd de la mer.

Tout à coup, un éclair passa dans les yeux de Lucienne, et elle éclata de rire.

— Ah çà, j’ai le délire ! s’écria-t-elle d’une voix vibrante. Qu’est-ce qui me prend ? Je ne suis pas une honnête femme ? Eh bien, tant mieux ! Me marier, pleurer, mourir, pourquoi faire ? Lorsque le bonheur est là devant moi, et que je n’ai qu’à le prendre ! Je suis jolie, il est jeune. Je vais lui dire tout simplement qu’il s’est trompé sur ma position, mais non sur mon amour ; que je suis à lui ; qu’il peut faire de moi tout ce qu’il voudra. Et nous nous enfuirons ensemble ; nous irons en Italie, à Venise. Quel bonheur ce sera d’être emportés, l’un près de l’autre, à travers un pays superbe, que nous ne regarderons