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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

mour qu’une femme puisse donner à son amant que de ne pas lui dire : Prenez garde de me chiffonner ou de me faire des taches, surtout si sa robe est neuve. — Une robe neuve est un plus grand motif de sécurité pour un mari qu’on ne le croit communément. — Il faut que Rosette m’adore, ou qu’elle ait une philosophie supérieure à celle d’Épictète.

Toujours est-il que je crois bien avoir payé à Rosette la valeur de sa robe et au delà en une monnaie qui, pour n’avoir pas cours chez les marchands, n’en est pas moins estimée et prisée. — Tant d’héroïsme méritait bien une pareille récompense. Au reste, en femme généreuse, elle m’a bien rendu ce que je lui ai donné. — J’ai eu un plaisir fou, presque convulsif et comme je ne me croyais pas capable d’en éprouver. Ces baisers sonores mêlés de rires éclatants, ces caresses frémissantes et pleines d’impatience, toutes ces voluptés âcres et irritantes, ce plaisir goûté incomplétement à cause du costume et de la situation, mais plus vif cent fois que s’il eût été sans entraves, me donnèrent tellement sur les nerfs, qu’il me prit des spasmes dont j’eus quelque peine à me remettre. — Tu ne saurais t’imaginer l’air tendre et fier dont Rosette me regardait tout en cherchant à me faire revenir, et la manière pleine de joie et d’inquiétude dont elle s’empressait autour de moi : sa figure rayonnait encore du plaisir qu’elle ressentait de produire sur moi un effet semblable en même temps que ses yeux, tout trempés de douces larmes, témoignaient de la peur qu’elle avait de me voir malade et de l’intérêt qu’elle prenait à ma santé. — Jamais elle ne m’a paru aussi belle qu’à ce moment-là. Il y avait quelque chose de si maternel et de si chaste dans son regard, que j’oubliai totalement la scène plus qu’anacréontique qui venait de se passer,