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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

un état de guerre perpétuel. — Les bras d’une femme, ce qui lie le mieux sur la terre, à ce qu’on dit, sont pour moi de bien faibles attaches, et je n’ai jamais été plus loin de ma maîtresse que lorsqu’elle me serrait sur son cœur. — J’étouffais, voilà tout.

Que de fois je me suis coléré contre moi-même ! que d’efforts j’ai faits pour ne pas être ainsi ! Comme je me suis exhorté à être tendre, amoureux, passionné ! que souvent j’ai pris mon âme par les cheveux et l’ai traînée jusque sur mes lèvres au beau milieu d’un baiser ! Quoi que j’aie fait, elle s’est toujours reculée en s’essuyant, aussitôt que je l’ai lâchée. Quel supplice pour cette pauvre âme d’assister aux débauches de mon corps et de s’asseoir perpétuellement à des festins où elle n’a rien à manger !

C’est avec Rosette que j’ai résolu, une fois pour toutes, d’éprouver si je ne suis pas décidément insociable, et si je puis prendre assez d’intérêt dans l’existence d’une autre pour y croire. J’ai poussé les expériences jusqu’à l’épuisement, et je ne me suis pas beaucoup éclairci dans mes doutes. Avec elle, le plaisir est si vif que l’âme se trouve assez souvent, sinon touchée, au moins distraite, ce qui nuit un peu à l’exactitude des observations. Après tout, j’ai reconnu que cela ne passait pas la peau, et que je n’avais qu’une jouissance d’épiderme à laquelle l’âme ne participait que par curiosité. J’ai du plaisir, parce que je suis jeune et ardent ; mais ce plaisir me vient de moi et non d’un autre. La cause est dans moi-même plutôt que dans Rosette.

J’ai beau faire, je n’ai pu sortir de moi une minute. — Je suis toujours ce que j’étais, c’est-à-dire quelque chose de très-ennuyé et de très-ennuyeux, qui me déplaît fort. Je n’ai pu venir à bout de faire entrer dans ma cervelle l’idée d’un autre, dans mon âme le senti-