Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
306
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

étaient poussés par le souffle mourant d’une petite brise à peine assez forte pour agiter les sommités des trembles les plus inquiets : des flocons de brouillards montaient entre les grands marronniers et indiquaient de loin le cours de la rivière. Quand la brise reprenait haleine, quelques feuilles rougies et grillées s’éparpillaient tout émues, et couraient devant moi le long du sentier comme des essaims de moineaux peureux ; puis, le souffle cessant, elles s’abattaient quelques pas plus loin : vraie image de ces esprits qu’on prend pour des oiseaux volant librement avec leurs ailes, et qui ne sont, au bout du compte, que des feuilles desséchées par la gelée du matin, et dont le moindre vent qui passe fait son jouet et sa risée.

Les lointains étaient tellement estompés de vapeurs, et les franges de l’horizon tellement effilées sur le bord qu’il n’était guère possible de savoir le point précis où commençait le ciel et où finissait la terre : un gris un peu plus opaque, une brume un peu plus épaisse, indiquaient d’une manière vague l’éloignement et la différence des plans. À travers ce rideau, les saules, avec leurs têtes cendrées, avaient plutôt l’air de spectres d’arbres que d’arbres véritables ; les sinuosités des collines ressemblaient plutôt aux ondulations d’un entassement de nuées qu’au gisement d’un terrain solide. Les contours des objets tremblaient à l’œil, et une espèce de trame grise d’une finesse inexprimable, pareille à une toile d’araignée, s’étendait entre les devants du paysage et les fuyantes profondeurs ; aux endroits ombrés, les hachures se dessinaient en clair beaucoup plus nettement, et laissaient voir les mailles du réseau ; aux places plus éclairées, ce filet de brume était insensible, et se confondait dans une lueur diffuse. Il y avait dans l’air quelque chose d’assoupi, d’humidement tiède