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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

reurs qui soient ; — cela me grandit d’une demi-coudée au moins dans leur estime, et ils ajoutèrent à mon propre mérite tout le mérite de ma monture. — Cependant ils parurent craindre qu’elle ne fût trop fringante et trop fougueuse pour moi. — Je leur dis qu’ils eussent à calmer leur crainte, et, pour leur montrer qu’il n’y avait point de danger, je lui fis faire plusieurs courbettes, — puis je franchis une barrière assez élevée, et je pris le galop.

La troupe essaya vainement de me suivre ; je tournai bride quand je fus assez loin, et je revins à leur rencontre ventre à terre ; quand je fus près d’eux, je retins mon cheval lancé sur ses quatre pieds et je l’arrêtai court : ce qui est, comme tu le sais ou comme tu ne le sais pas, un vrai tour de force.

De l’estime ils passèrent sans transition au plus profond respect. Ils ne se doutaient pas qu’un jeune écolier, tout récemment sorti de l’université, était aussi bon écuyer que cela. Cette découverte qu’ils firent me servit plus que s’ils avaient reconnu en moi toutes les vertus théologales et cardinales ; — au lieu de me traiter en petit jeune homme, ils me parlèrent sur un ton de familiarité obséquieuse qui me fit plaisir.

En quittant mes habits, je n’avais pas quitté mon orgueil : — n’étant plus femme, je voulais être homme tout à fait et ne pas me contenter d’en avoir seulement l’extérieur. — J’étais décidée à avoir comme cavalier les succès auxquels je ne pouvais plus prétendre en qualité de femme. Ce qui m’inquiétait le plus, c’était de savoir comment je m’y prendrais pour avoir du courage ; car le courage et l’adresse aux exercices du corps sont les moyens par lesquels un homme fonde le plus aisément sa réputation. Ce n’est pas que je sois timide pour une femme, et je n’ai pas ces pusillanimités im-