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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

plus clairs et les plus brillants du monde, et l’on eût en vain cherché sur ses joues le sillon par où avaient passé les larmes ; il n’y avait en vérité que deux petites fossettes creusées par l’habitude de sourire, et, pour une veuve, il est juste de dire qu’on lui voyait très-fréquemment les dents : ce qui n’était certainement pas un spectacle désagréable, car elle les avait petites et bien rangées. Je l’estimai tout d’abord de ne s’être pas crue obligée, parce qu’il lui était mort quelque mari, de se pocher les yeux et de se rendre le nez violet : je lui sus bon gré aussi de ne prendre aucune petite mine dolente et de parler naturellement avec sa voix sonore et argentine, sans traîner les mots et entrecouper ses phrases de vertueux soupirs.

Cela me parut de fort bon goût ; je la jugeai tout d’abord une femme d’esprit, ce qu’elle est en effet.

Elle était bien faite, le pied et la main très-convenables ; son costume noir était arrangé avec toute la coquetterie possible et si gaiement que le lugubre de la couleur disparaissait complétement, et qu’elle eût pu aller au bal ainsi habillée, sans que personne le trouvât étrange. Si jamais je me marie et que je devienne veuve, je lui demanderai un patron de sa robe, car elle lui va comme un ange.

Après quelques propos, nous montâmes chez la vieille tante.

Nous la trouvâmes assise dans un grand fauteuil à dos renversé, avec un petit tabouret sous son pied, et à côté d’elle un vieux chien tout chassieux et tout renfrogné, qui leva son museau noir à notre arrivée, et nous accueillit par un grognement très-peu amical.

Je n’ai jamais envisagé une vieille femme qu’avec horreur. Ma mère est morte toute jeune ; sans doute, si je l’avais vue lentement vieillir et que j’eusse vu ses