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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ces deux ou trois physionomies, soit de personnes, soit de lieux, c’est qu’il m’arriva là des choses très-singulières et pourtant fort naturelles, et que j’aurais dû prévoir en prenant des habits d’homme.

Ma légèreté naturelle me fit faire une imprudence dont je me repens cruellement, car elle a porté dans une bonne et belle âme un trouble que je ne puis apaiser sans découvrir ce que je suis et me compromettre gravement.

Pour avoir parfaitement l’air d’un homme et me divertir un peu, je ne trouvai rien de mieux que de faire la cour à la sœur de mon ami. — Cela me paraissait très-drôle de me précipiter à quatre pattes lorsqu’elle laissait tomber son gant et de le lui rendre en faisant des révérences prosternées, de me pencher au dos de son fauteuil avec un petit air adorablement langoureux, et de lui couler dans le tuyau de l’oreille mille et un madrigaux on ne saurait plus charmants. Dès qu’elle voulait passer d’une chambre à une autre, je lui présentais gracieusement la main ; si elle montait à cheval, je lui tenais l’étrier, et, à la promenade, je marchais toujours à côté d’elle ; le soir, je lui faisais la lecture et je chantais avec elle ; — bref, je m’acquittais avec une scrupuleuse exactitude de tous les devoirs d’un cavalier servant.

Je faisais toutes les mines que j’avais vu faire aux amoureux, ce qui m’amusait et me faisait rire comme une vraie folle que je suis, lorsque je me trouvais seule dans ma chambre et que je réfléchissais à toutes les impertinences que je venais de débiter du ton le plus sérieux du monde.

Alcibiade et la vieille marquise paraissaient voir cette intimité avec plaisir et nous laissaient fort souvent tête à tête. Je regrettais quelquefois de n’être pas véritable-