Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

tait sur ses charmes et sur ma jeunesse à défaut de mon amour.

Cependant, comme cette situation commençait à se prolonger un peu au delà des bornes naturelles, elle en prit de l’inquiétude, et c’était à peine si un redoublement de phrases flatteuses et de belles protestations lui pouvait redonner sa première sécurité. Deux choses l’étonnaient en moi, et elle remarquait dans ma conduite des contradictions qu’elle ne pouvait concilier : — c’était ma chaleur de paroles et ma froideur d’action.

Tu le sais mieux que personne, ma chère Graciosa, mon amitié a tous les caractères d’une passion ; elle est subite, ardente, vive, exclusive, elle a de l’amour jusqu’à la jalousie, et j’avais pour Rosette une amitié presque pareille à celle que j’ai pour toi. — On pouvait se tromper à moins. — Rosette s’y trompa d’autant plus complétement que l’habit que je portais ne lui permettait guère d’avoir une autre idée.

Comme je n’ai encore aimé aucun homme, l’excès de ma tendresse s’est en quelque sorte épanché dans mes amitiés avec les jeunes filles et les jeunes femmes ; j’y ai mis le même emportement et la même exaltation que je mets à tout ce que je fais, car il m’est impossible d’être modérée en quelque chose, et surtout dans ce qui regarde le cœur. Il n’y a à mes yeux que deux classes de gens, les gens que j’adore et ceux que j’exècre ; les autres sont pour moi comme s’ils n’étaient pas, et je pousserais mon cheval sur eux comme sur le grand chemin : ils ne diffèrent pas dans mon esprit des pavés et des bornes.

Je suis naturellement expansive, et j’ai des manières très-caressantes. — Quelquefois, oubliant la portée qu’avaient de telles démonstrations, tout en me pro-