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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

chassées de ses joues n’y revinrent pas aussi vives qu’auparavant ; — il lui resta de la pâleur sur la joue et de l’inquiétude au fond de l’âme. — Ma conduite à son égard la surprenait de plus en plus. — Après les avances marquées qu’elle m’avait faites, elle ne comprenait pas les motifs qui me faisaient mettre tant de retenue dans mes rapports avec elle : ce qu’elle voulait c’était de m’amener avant mon départ à un engagement tout à fait décisif, ne doutant pas qu’après cela il ne lui fût extrêmement facile de me retenir aussi longtemps qu’elle le voudrait.

En cela elle avait raison, et, si je n’eusse pas été une femme, son calcul se fût trouvé juste ; car, quoi que l’on ait dit de la satiété du plaisir et du dégoût qui suit ordinairement la possession, tout homme qui a l’âme un peu bien située, et qui n’est pas blasé misérablement et sans ressource, sent son amour s’augmenter de son bonheur, et très-souvent le meilleur moyen de retenir un amant prêt à s’éloigner, c’est de se livrer à lui avec un entier abandon.

Rosette avait le dessein de m’amener à quelque chose de décisif avant mon départ. Sachant combien il est difficile de reprendre plus tard une liaison au point où on l’avait laissée, et, d’ailleurs, n’étant nullement sûre de me pouvoir retrouver jamais dans des circonstances aussi favorables, elle ne négligeait aucune des occasions qui se pouvaient présenter de me mettre dans une position à me prononcer nettement et à quitter ces manières évasives derrière lesquelles je me retranchais. Comme j’avais, de mon côté, l’intention excessivement formelle d’éviter toute espèce de rencontre pareille à celle du pavillon rustique, et que je ne pouvais cependant pas, sans afficher un ridicule, affecter trop de froideur pour Rosette et mettre dans nos rapports une