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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

belles nymphes marines aux longs cheveux verts, élevant au-dessus des flots leur gorge blanche et pointue, et montrant au soleil leur corps de nacre de perle tout ruisselant des pleurs de la mer, ne seraient point venues s’accouder sur le rivage pour me faire la conversation et me consoler dans ma peine comme dans la pièce du vieil Eschyle.

Il n’en a point été ainsi.

Vous êtes venue, et j’ai dû reprocher son impuissance à mon imagination. — Mon tourment n’a pas été celui que je craignais, d’être perpétuellement en proie à une idée sur une roche stérile : mais je n’en ai pas moins souffert. J’avais vu qu’en effet vous existiez, que mes pressentiments ne m’avaient point menti sur ce point ; mais vous vous êtes présentée à moi avec la beauté ambiguë et terrible du sphinx. Comme Isis, la mystérieuse déesse, vous étiez enveloppée d’un voile que je n’osais soulever de peur de tomber mort.

Si vous saviez, sous mes apparences distraites, avec quelle attention haletante et inquiète je vous observais et vous suivais jusque dans vos moindres mouvements ! Rien ne m’échappait ; comme je regardais ardemment le peu qui paraissait de votre chair au cou ou aux poignets pour tâcher de constater votre sexe ! Vos mains ont été pour moi le sujet d’études profondes, et je puis dire que j’en connais les moindres sinuosités, les plus imperceptibles veines, la plus légère fossette ; vous seriez cachée des pieds à la tête sous le plus impénétrable domino, que je vous reconnaîtrais à voir seulement un de vos doigts. J’analysais les ondulations de votre marche, la manière dont vous posiez les pieds, dont vous releviez vos cheveux ; je cherchais à surprendre votre secret dans l’habitude de votre corps. — Je vous épiais surtout à ces heures de mollesse où les os semblent re-