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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

sur la balustrade de pierre, soit que je fusse fascinée par le charme de la nuit, soit par nonchalance et par oubli. — Rosette, ne voyant plus briller ma lampe et ne pouvant me distinguer à cause d’un grand angle d’ombre qui tombait précisément sur la fenêtre, avait cru sans doute que j’étais couchée, et c’était ce qu’elle attendait pour risquer une dernière et désespérée tentative. — Elle poussa si doucement la porte que je ne l’entendis pas entrer, et qu’elle était à deux pas de moi avant que je m’en fusse aperçue. Elle fut très-étonnée de me voir encore levée ; mais, se remettant bientôt de sa surprise, elle vint à moi et me prit le bras en m’appelant deux fois par mon nom : — Théodore, Théodore !

— Quoi ! vous, Rosette, ici, à cette heure, toute seule, sans lumière, dans un déshabillé aussi complet !

Il faut te dire que la belle n’avait sur elle qu’une mante de nuit en batiste excessivement fine, et la triomphante chemise bordée de dentelles que je n’avais pas voulu voir le jour de la fameuse scène dans le petit kiosque du parc. Ses bras, polis et froids comme le marbre, étaient entièrement nus, et la toile qui couvrait son corps était si souple et si diaphane qu’elle laissait voir les boutons des seins, comme à ces statues des baigneuses couvertes d’une draperie mouillée.

— Est-ce un reproche, Théodore, que vous me faites là ? ou n’est-ce qu’une simple phrase purement exclamative ? Oui, moi, Rosette, la belle dame ici, dans votre chambre à vous, non dans la mienne où je devrais être, à onze heures du soir et peut-être minuit, sans duègne, ni chaperon, ni soubrette, presque nue, en simple peignoir de nuit ; — cela est bien étonnant, n’est-ce pas ? — J’en suis aussi surprise que vous, et je ne sais trop quelle explication vous en donner.

En disant cela, elle me passa un de ses bras autour