Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/149

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bras en anse d’amphore, et ils sortirent très majestueusement.

Le jeune insulaire rayonnait. Cette scène avait fait naître dans son esprit des espérances qui jusqu’alors n’avaient pu ouvrir leurs ailes. Feliciana, pour laquelle il brûlait d’une flamme discrète, était libre ! Ce mariage projeté depuis si longtemps venait de se rompre : « Oh ! se disait-il en sentant sur sa manche le gant étroit de la jeune fille, épouser une Espagnole, c’était mon rêve ! une Espagnole à l’âme passionnée, au cœur de flamme et qui fasse le thé dans mes idées... Je suis de l’avis de lord Byron : arrière les pâles beautés du Nord ; j’ai juré à moi-même de ne me marier qu’avec une Indienne, une Italienne ou une Espagnole. J’aime mieux l’Espagnole à cause du romancero et de la guerre de l’indépendance ; j’en ai vu beaucoup qui étaient passionnées, mais elles ne faisaient pas le thé selon mes principes, commettant des impropriétés vraiment choquantes : au lieu que Feliciana est si bien élevée ! Quel effet elle fera à Londres, aux bals d’Almack et dans les raouts fashionables ! Personne ne voudra croire qu’elle est de Madrid. Oh ! que je serai heureux ! Nous irons passer les étés avec notre petite famille à Calcutta ou au cap de Bonne-Espérance, où j’ai un cottage. Quelle félicité ! »

Tels étaient les songes d’or que faisait tout éveillé