Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/52

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fruits confits, arrosée de flacons de vin de Péralta et de Pedro Jiménès plus ou moins légitimes, que la tia aurait été chercher à la boutique de vins généreux la plus proche.

Prenant un papel de hilo teint au jus de réglisse, la belle enfant roulait dans la mince feuille quelques brins de tabac coupés d’un trabuco, et lui offrait une cigarette tournée avec la plus classique perfection.

Puis, repoussant la table du pied, elle allait décrocher du mur une guitare qu’elle remettait à son galant, et une paire de castagnettes de bois de grenadier qu’elle s’ajustait aux pouces, en serrant la ganse qui les noue de ses petites dents de nacre, et se mettait à danser avec une souplesse et une expression admirables une de ces vieilles danses espagnoles où l’Arabie a laissé sa langueur brûlante et sa passion mystérieuse, en murmurant d’une voix entrecoupée quelque ancien couplet de séguidille incohérent et bizarre, mais d’une poésie pénétrante.

Pendant qu’Andrès s’abandonnait à ses voluptueuses rêveries avec tant de bonne foi, qu’il marquait la mesure des castagnettes en faisant craquer ses phalanges, le soleil baissait rapidement et les ombres devenaient longues. L’heure du dîner approchait ; car aujourd’hui, à Madrid, les personnes bien situées se mettent à table à l’heure