Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/123

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figure et devenir la figure elle-même. Rien n’est moins dramatique pour le spectateur désintéressé qu’une tablée de joueurs. Vous diriez un congrès de mathématiciens cherchant la solution d’un problème difficile. En effet, chacun refait à sa manière le calcul des probabilités de M. Poisson et cherche à deviner la logique du hasard ; car, à force de vivre avec lui, les joueurs ne croient pas au hasard. L’un suit une martingale, l’autre joue la gagnante ; celui-là met exclusivement sur la rouge, celui-ci masse ses coups comme un général d’armée ses bataillons, d’après une stratégie à lui connue. Bien peu s’abandonnent franchement à la chance adverse ou favorable. Tous piquent les coups sortis sur une carte à deux couleurs, et supputent, d’après les séries passées, les séries à venir. Cependant les râteaux vont et viennent, amenant et repoussant l’or. De temps en temps, un joueur rincé se lève et cède place à un autre. Plus rarement il s’en va emportant son gain. Ce n’est pas pourtant qu’on ne gagne souvent et même beaucoup à Wiesbaden, où il n’y a que huit refaits par jour ; mais s’arrêter ayant la veine pour soi est une chose presque impossible : on veut suivre jusqu’au bout ce filon d’or, épuiser ce placer jusqu’à la dernière pépite, et l’on perd, et puis le joueur passe et