Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/165

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ou l’Orient. Voilà pourquoi j’étais à Venise au mois de septembre 185.. J’y traitais ma grise mélancolie par de fortes doses d’azur.

La plus singulière ville du monde, à coup sûr, c’est Venise, cet Amsterdam de l’Italie. On l’a décrite mille fois, elle est toujours aussi nouvelle. Qui a vu Vienne peut se faire une idée de Padoue ; Rome ressemble à Florence, Paris à Londres ; Venise ne ressemble qu’à elle-même. Ce n’est ni une ville gothique ni une ville romaine : c’est quelque chose qu’on ne saurait définir. Cette architecture étrange et fantastique n’a rien de commun avec celle que vous connaissez. Ces belvédères sur le sommet des toits, ces cheminées en forme de colonnes et de tours ; ces grands palais de marbre aux fenêtres en arcade, aux murs bariolés de fresques et de mosaïques, aux frontons hérissés de statues ; ces églises avec leurs clochers de formes si variées, dômes, coupoles, floches, aiguilles, tourelles, campaniles ; ces ponts aux arches sveltes et hardies tout chargés de sculptures ; ces piazzas pavées en marqueterie ; ces canaux qui se croisent en tout sens, doublant dans leur clair miroir les maisons qui les bordent ; ces tentes de toile rayée où se tiennent les marchands ; ces poteaux armoriés qui servent à amarrer les barques des nobles ; ces escaliers dont la mer