Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/171

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gnobles masures moisies et lézardées qui penchent les unes vers les autres, et qui, lasses d’être debout, s’épaulent familièrement aux flancs de granit de leurs voisines. Les rues (car il y a des rues à Venise, bien qu’on n’ait pas l’air de le croire) sont étroites et sombres, avec un dallage qui n’a jamais été refait. Des vieux linges et des matelas sèchent aux fenêtres ; quelque figure have et fiévreuse se penche pour vous regarder passer. Nul métier bruyant, nulle animation ; quelque rare piéton glisse silencieusement sur les dalles polies. Hors saint Marc, tout est mort ; c’est le cadavre d’une ville et rien de plus, et je ne sais pas pourquoi les faiseurs de libretti et de barcarolles s’obstinent nous parler de Venise comme d’une ville joyeuse et folle. La chaste épouse de la mer est bien la ville la plus ennuyeuse du monde, ses tableaux et ses palais une fois vus.

Les gondoles, dont ils font tant de belles descriptions, sont des espèces de fiacres d’eau qui ne valent guère mieux que ceux de terre.

C’est un cercueil flottant, peint en noir, avec une dunette fermée au milieu, un morceau de fer hérissé de cinq à six pointes à la proue et qui ne ressemble pas mal aux chevilles d’un manche de violon. Un seul homme fait marcher cette embarcation avec une rame