Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diennes, les dentelés et les saillies des côtes y ressortent avec un relief extrême ; c’est de l’écorché à la troisième puissance ; l’artiste a oublié de jeter une peau sur ces saillies et ces bosses, ou plutôt il ne l’a pas voulu. Aussi a-t-on comparé ce torse à un sac rempli de pommes de pin. Ce reproche, qui a son côté vrai, pourrait être adressé à bien d’autres artistes florentins, sans en excepter le grand Buonarotti.

Ce Baccio Bandinelli avait devant le grand-duc, avec ce grand hâbleur de Benvenuto Cellini, matamore de l’art, capitaine Fracasse de l’orfévrerie, les plus amusantes prises de bec. « Pourvois-toi d’un autre monde, car je veux te chasser de celui-ci, disait Benvenuto à Bandinelli en se campant sur la hanche comme un don Spavento de comédie. — Fais-le-moi savoir un jour d’avance, afin que je me confesse et que je fasse un testament ; car je ne veux pas mourir en brute comme toi, répondait le statuaire au ciseleur. » Ce dialogue, alterné d’injures de crocheteur ou de savant, divertissait le grand-duc. — Ces animosités valent, au fond, mieux pour l’art que les hypocrites flagorneries qu’emploient entre eux les artistes modernes. La passion est bonne et prouve la conviction ; d’ailleurs, Benvenuto Cellini rend justice dans ses Mémoires au talent de Bandinelli,