Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/243

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de l’empereur, perdent leur antique stérilité et se couvrent de fermes, de plantations et de prairies. Bientôt cette immense tache de sable, si affligeante aux yeux et à l’âme, aura disparu de la carte de France. Un sahara traversé par le chemin de fer est une anomalie qui ne saurait durer longtemps. Quelques bergers montés sur des échasses, les derniers peut-être, regardaient passer les wagons en tricotant des bas.

On atteignit Bayonne, tout égayée par les vaisseaux et les barques pavoisés à l’occasion de la fête du 15 août. Rien de plus joyeux que cet éclatant bariolage se détachant d’un ciel pur.

À Irun, une colonne peinte en granit rouge, ornée d’écussons et de flammes aux couleurs d’Espagne, marquait la frontière délimitée par la Bidossoa. Là, le train, en personne bien élevée, prit la tenue d’étiquette, car on allait au-devant d’un roi, maintenant hôte de notre empereur. Un gigantesque hangar, divisé en boxes de toilette par des cloisons de percaline verte, abrita cette transformation à vue. Cette pose simultanée de six cents habits noirs et d’autant de cravates blanches est un effet imprévu d’extrême civilisation et peut donner l’idée des changements qu’amèneront dans la vie moderne les prodigieuses inventions de la science.