Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/26

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original que cette sorte de frise, de panathénée à l’aiguille, tracée par la reine femme du héros qui changea son nom de Guillaume le Bâtard contre celui de Guillaume le Conquérant, à peu près comme Hélène traçait sur le canevas les exploits des Grecs et des Troyens sous les murs d’Ilion.

Des inscriptions latines accompagnent chaque action, nomment chaque personnage et ne laissent aucun doute.

Le style du dessin a quelque chose de primitif et d’étrusque ; ces figurines anglo-normandes, hautes de quatre ou cinq pouces, ressemblent parfois aux héros des vases grecs ; les chevaux, rouges, verts, bleus, ont l’aspect le plus étrange, et nous en avons vu de pareils sur les peaux de bison où les Ioways peignaient des combats avec les couleurs de leurs tatouages.

Quelle chose singulière lorsque tant d’édifices si solides se sont écroulés, que cette frêle bande de toile soit parvenue à nous intacte à travers les siècles, les révolutions et les vicissitudes de toute sorte ! — Un bout de canevas a duré huit cents ans !

Maintenant qu’il ne nous reste plus rien à visiter à Bayeux, dînons, et attendons le train qui nous mènera coucher à Carentan.