Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/295

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cour si nue, si froide, si triste, sur laquelle donne la façade de l’église, nous reconnûmes tout de suite les six prophètes du portail avec leur corps de granit où sont ajustées des têtes et des mains de marbre faiblement teinté en couleur de chair ils portaient toujours leurs couronnes, leurs phylactères et leurs attributs de bronze doré. En vérité, ils n’étaient pas changés du tout. Il nous sembla, à un certain clin d’œil amical, qu’ils nous reconnaissaient aussi, quoique, depuis notre derrière entrevue, notre physique se soit considérablement modifié. Les bons géants paraissaient dire, dans leur muette langue de pierre intelligible pour le poëte :

« Nous nous souvenons de la visite au temps où personne ne nous venait voir, et nous t’en savons gré. Oh ! comme c’était ennuyeux alors ! Oh ! comme pesamment, maussadement, monotonement tombait l’heure dans l’éternité ! Entre la sonnerie des quarts, des siècles s’écoulaient et nous n’avions pas même la consolation de pouvoir bailler avec nos lourdes mâchoires sculptées. Nous le voyions aller et venir, faisant un croquis, notant un détail sur ton carnet, copiant notre nom cela nous distrayait un peu ; tu faisais quelque bruit dans ce silence si profond, qu’il permet d’entendre le ver filer sa toile au fond du sépulcre. On dit que tu as joliment ar-