Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/159

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pour régulariser sa position dans le monde, par ce besoin de repos qu’on éprouve après les écarts et les fougues de la jeunesse. Un profond désespoir s’empara de moi. Je voyais ma vie se fermer, mon chaste rêve caressé si longtemps s’évanouir à jamais. Je ne pouvais même plus penser à vous dans le coin le plus mystérieux de mon âme, car vous, appartenant à une autre devant Dieu et les hommes, cette pensée innocente jusqu’alors devenait coupable, et dans ma passion de jeune fille il ne s’était rien glissé dont mon ange gardien pût rougir. Une fois, je vous rencontrai au bois de Boulogne chevauchant près de la calèche de Mme  d’Ymbercourt, mais je me rejetai au fond de la voiture, prenant autant de soin pour me cacher que j’en eusse mis auparavant pour être vue. Cette rapide vision fut la dernière.

J’avais dix-sept ans à peine. Qu’allais-je devenir ? Comment finir une existence secrètement brisée dès son début ? Fallait-il accepter un des partis qu’approuveraient mes parents dans leur sagesse ? C’est ce qu’en pareille occasion ont fait bien des jeunes filles séparées comme moi de leur idéal par d’obscures fatalités. Mais ma loyauté se révoltait contre un semblable compromis. Selon moi, ma première et unique pensée d’amour ayant été pour vous, je ne pouvais en ce monde appartenir qu’à vous seul, et toute autre union m’eût paru une sorte d’adultère. Mon cœur n’avait